L'embuscade de Palestro
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embuscade palestro

Nous approchions d'une ligne de rochers en surplomb du sentier, racontera Dumas, lorsque la fusillade éclata. Les rebelles n'étaient pas à 30 mètres devant nous, bien à l'abri dans la pierraille. Ils tiraient au fusil de chasse et à l'arme automatique.
Le sous-lieutenant Artur et le radio sont tombés les premiers. C'était l'enfer. Je me suis jeté à terre. Le tireur au F.M. a mis en batterie, mais il a été touché aussitôt. J'ai pris l'arme et j'ai lâché quelques rafales vers les rochers. Mais on ne voyait pas grand-chose. J'entendais les copains qui râlaient. Autour de moi, tous étaient morts...
En fait, l'affaire fut réglée en une vingtaine de minutes. Encerclé, Dumas se rendit. Les fellaghas tenaient aussi Serreau, Chorliet, Aurousseau, Caron et David-Nillet.
Mais, précisera Dumas, seuls Nillet et moi n'étions pas blessés. Nous avons vu arriver la population du douar, qui a commencé à ramasser autour de nous les armes et les équipements. Puis les fellaghas, qui étaient peut-être 35, nous entraînèrent à 300 mètres des lieux de l'embuscade. Là, ils nous ont pris tout ce que nous avions sur nous, du portefeuille au couteau de poche. Puis nous sommes partis pour le douar.
Caron ne pouvant plus suivre, les rebelles l'ont laissé sur la piste.
Après une brève halte dans une mechta où nous avons abandonné Aurousseau, Serreau et Chorliet, la marche a repris. Sous un bouquet d'arbres, les fellaghas ont procédé à un échange d'armes. Des civils leur ont apporté à manger. Ils ont partagé leur repas avec nous. Ils étaient tous en uniforme. L'un d'eux avait deux étoiles à la patte d'épaule : c'était le lieutenant.
Nous avons cheminé encore longtemps avant d'arriver à la grotte qui leur servait de cantonnement. Pendant cinq jours, les rebelles nous ont trimbalés Nillet et moi, partout où ils allaient. Dès la première halte, ils nous avaient donné de quoi écrire à nos familles.
« Dites-leur que vous êtes prisonniers et bien traités. »
Il devait, hélas ! en être autrement pour ses infortunés compagnons laissés à la garde des montagnards qui, au petit matin, les avaient si gentiment accueillis. Poussés par la haine, les fellahs s'en prirent même aux cadavres.

A la maison forestière, Callu, qui ne voit pas revenir la patrouille à l'heure fixée, s'inquiète. Et son inquiétude gagne toute la petite troupe. A 13 heures, n'y tenant plus, Callu donne l'alerte au P.C. Son tour de permanence l'a sauvé de la tuerie. Prisonnier des consignes, il ne pourra même pas participer aux recherches.
A 18 heures, une section de marsouins parvient enfin sur les lieux de l'embuscade.
Un horrible spectacle les attend. Sur les rochers couverts de sang, plane une fade odeur de mort.
Deux cadavres mutilés gisent dans les buissons. Les yeux sont crevés, les corps vidés de leurs entrailles et bourrés de cailloux. Les testicules ont été coupés et les pieds, dépouillés de leurs chaussures, sont zébrés de coups de couteau.
Dans leur fureur démentielle, les assassins ont oublié un des leurs : un fellagha, grièvement blessé, qui, avant de mourir, va donner quelques renseignements : Khodja a monté le piège avec la complicité de la population. Depuis plusieurs jours, les emplacements de tir avaient été préparés et des barbelés tendus de part et d'autre de la piste pour empêcher les soldats de décrocher.
Il ajoute encore que la bande devait se rassembler à la dechra du douar Amal. Les marsouins s'y rendent. Sur le chemin, ils découvrent le cadavre de Caron, qui a été achevé. La dechra, bien entendu, a été abandonnée. Les mechtas sont vides. Les femmes et les enfants ont fui vers la fraction Guergour.

Mais sur les rochers qui entourent  le village, sont exposés, comme dans un suprême défi, les corps suppliciés de quinze soldats français. Pendant cinq jours, sept bataillons vont traquer le commando rebelle.
Des hélicoptères ont amené de toute urgence les paras du 13° dragons. Cinquante montagnards du douar Amal sont abattus. Mais Khodja court toujours, et tandis que 3 000 hommes sont lancés à sa poursuite, les rebelles trouvent encore les moyens de couper 10 000 pieds de vigne.
Le 23 mai au matin, la bande est enfin accrochée près de Tifrène par le 1er  R.E.P. et le 20eme B.P.C. Les rebelles sont repliés dans des grottes. Les légionnaires montent à l'assaut, tuent 17 fellaghas, délivrent Dumas, qui n'y croyait plus, et font 3 prisonniers, dont un déserteur.
Mais, dans le feu du combat, l'infortuné David-Nillet, compagnon de captivité du soldat Dumas, trouve la mort. On espérera retrouver vivants Chorliet, Serreau et le caporal-chef Aurousseau, portés disparus après l'embuscade, car, à plusieurs reprises, leur présence sera signalée par des fellaghas...
Finalement, l'affaire de Palestro, qui voit tomber les premiers rappelés, servira paradoxalement les intérêts du F.L.N., malgré ou peut-être à cause de l'atrocité même du drame. Elle donnera aux partisans de la négociation, qui ne se priveront pas de l'utiliser, un argument auprès de l'opinion sensibilisée. On saura désormais que l'Algérie n'est pas l'Alsace-Lorraine, et le rappel des réservistes deviendra la mesure la plus impopulaire qui ait jamais été prise.

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